Hiroshi Sakurai – février 2023
Bonjour à tous. Je m’appelle Hiroshi Sakurai. Je suis la troisième génération à la tête de la brasserie Asahi Shuzo, qui fabrique le saké Dassai. J’en suis actuellement le président.
Dassai est une marque de saké japonais. Le saké, qui est née et à évolué au Japon, est une boisson alcoolisé fermentée fabriquée avec du riz et de l’eau. Il est aussi, cela va sans dire, étroitement lié à l’histoire des Japonais.
Le Japon est un archipel très montagneux. Par conséquent, on y trouve peu de plaines pouvant être utilisées pour l’agriculture, par rapport à l’Europe ou les États-Unis par exemple.
Cependant, en 1868, première année de l’ère Meiji, sa population était de 34 millions d’habitants. Comment le Japon a-t-il pu maintenir une telle population, avant la révolution industrielle ? C’est en grande partie en développant une agriculture intensive ayant fortement recours à la main d’œuvre, en particulier la culture du riz.
Afin d’obtenir un meilleur rendement par hectare, des techniques qui demandent du « tema », du temps et des efforts, ont été mises au point, telles que les pépinières de riz. Cette évolution a été encouragée par l’état d’esprit des Japonais, qui sont prêts à des efforts supplémentaires si cela a un impact sur le rendement, même faible. Ainsi, dans le Japon rural d’alors, les fils cadets n’étaient pas les héritiers, mais ils n’en restaient pas moins une main d’œuvre précieuse pour les travaux des champs.
Si le Japon a pu maintenir une population élevée pendant cette période, c’est en grande partie en améliorant la culture du riz, élément de base de l’alimentation, avec des nouvelles méthodes de culture qui permettent un rendement plus élevé. En d'autres termes, au lieu d'accepter la nature telle qu'elle est, nous pouvons coexister avec elle en concevant de nouvelles méthodes. Pour ce faire, il est important d'améliorer les techniques agricoles.
Cela a également un impact significatif sur le brassage du saké, qui utilise le riz comme matière première. La technologie est très importante dans le brassage du saké. Je ne connais pas vraiment l’univers du vin, je peux donc me tromper, mais il me semble que le vin est très influencé par le climat et les terres où il est produit en Europe. Il me semble que le vin est caractéristique d’un terroir, plus que des techniques de vinification ou de culture du raisin. Je pense qu'il s'agit là d'une grande différence entre le saké et le vin en termes de perception de la technologie. Le saké est une boisson fortement influencée par les traditions, les valeurs et l'histoire du peuple japonais.
Concernant Dassai, nous attachons une grande importance à la technologie et au travail manuel qui permettent de rendre le saké aussi savoureux que possible. Pour être plus précis, au niveau des ventes de saké au Japon, nous sommes classés 12e en termes de volume et 4 e en termes de valeur. Mais nos effectifs de production sont les plus importants du Japon, avec 170 employés. En outre, le volume de production par employé est équivalent ou, selon le point de vue, inférieur à la moitié de celui d'une brasserie qui suit la même méthode traditionnelle de brassage du saké qu’il y a 50 ans. Il s'agit d'un chiffre unique dans l'industrie brassicole japonaise, compte tenu du développement ultérieur d'équipements permettant d'économiser de la main-d'œuvre, tels que les chariots élévateurs à fourche. Dassai valorise le « tema », le temps et l’effort.
Grâce au développement des outils numériques ces dernières années, il est devenu possible de suivre en détail de manière quantitative le processus de brassage. L’étude des données mesurées révèle à quel point il est important de prendre le temps et de faire les efforts nécessaires pour fabriquer le saké. Le processus de brassage de Dassai est amélioré par le personnel de production qui comprend cela.
Si l’on considère la production des sakés Junmai Daiginjo ou Junmai Ginjo dans son ensemble, Dassai est numéro un avec 11% de la production expédié. Et si on se limite à la catégorie des Junmai Daiginjo, même en l’absence de statistiques précises, on peut estimer que Dassai représente 30% de la production. Toutefois, lorsque j'ai repris Asahi Shuzo en 1984 et que j'en suis devenu le troisième dirigeant, nous ne vendions que du saké bon marché, sans caractéristiques particulières, pour un marché local. A Iwakuni, une ville de moins de 100 000 habitants de la même région, la brasserie occupait la quatrième place dans le classement des ventes. Elle souffrait d'un triple handicap : elle avait vu ses ventes baisser d’un tiers les dix années précédentes en raison de la concurrence ; elle n'avait pas de technologie ni de ventes suffisantes ; et elle était située dans une région montagneuse isolée connaissant une forte baisse de sa population.
Dans ce contexte difficile, le saké traditionnel bon marché ne pouvait pas être rentable sur le seul marché local. En fin de compte, notre brasserie de saké a pu survivre en développant le Junmai Daiginjo Dassai, en délaissant le marché local et en pénétrant le marché de Tokyo.
À l'époque, il n'y avait ni marché ni technologie pour une production stable pour le Junmai Daiginjo dans l'industrie du saké. Mais Dassai a établi un marché et une technologie de production pour un nouveau saké haut de gamme. Ce défi a fait naître chez d'autres petites brasseries régionales l'espoir qu'elles pourraient elles aussi réussir à vendre leur saké sur les marchés des grandes villes telles que Tokyo.
Cela a été possible pour Asahi Shuzo, qui n'était qu'une petite brasserie de saké régionale, largement grâce au contexte de l'époque. Tout d'abord, avec le développement de l'économie japonaise, le revenu moyen des ménages a augmenté, tandis que le prix du saké a baissé avec la mécanisation et la rationalisation de la production. Cela signifie que les Japonais pouvaient désormais boire autant qu'ils le voulaient, à condition de ne pas trop se préoccuper de la qualité. Ce phénomène a été ignoré par l'industrie, mais du point de vue de la société dans son ensemble, il s'est traduit par une augmentation du nombre de patients atteints de maladies liées à l'alcool.
Dans ce contexte, l'augmentation de l'incidence des maladies du foie chez nos clients m'a amené à valoriser, non pas le fait de s’enivrer avec de grandes quantités de saké mais la satisfaction psychologique de boire de petites quantités d’un meilleur saké. Et j'ai orienté l'entreprise vers brasserie de saké spécialisée dans le Junmai Daiginjo. C'est ainsi que Dassai a pu avoir une bonne image dans la société et que le Junmai Daiginjo de Dassai a été bien accueilli, en particulier par une population plus jeune et les femmes. Toutefois, rétrospectivement, cela n'a été possible que parce que nous étions une brasserie de saké du côté des perdants. Si nous avions été du côté des vainqueurs, nous n'aurions pas pu nous permettre de rejeter notre saké fait auparavant.
Le développement de la logistique et de l'informatique nous a également aidé. Le développement de la livraison à domicile au Japon, qui a simplifié l’envoi et réduit le prix des petites commandes pour les particuliers, a été un atout indéniable pour la brasserie Asahi Shuzo dans sa tentative d'entrer sur le marché de Tokyo. L'envoi de saké à de nouveaux clients, qui avaient tendance à acheter de plus petites quantités, n'était pas possible avec les grands camions ou les conteneurs ferroviaires traditionnels. Cette évolution, associée au développement des ordinateurs, a ouvert la diffusion de l'information à l'utilisateur individuel et l'a rendue moins coûteuse, nous permettant ainsi de transmettre nos informations directement à l'utilisateur final. Ils ont grandement contribué au développement du marché urbain.
Toutefois, dans le cadre du développement de la brasserie, qui ne produisait plus que des Junmai Daiginjo, j'ai été poussé par la nécessité de former un successeur au Toji vieillissant. Afin de compenser un des points faibles des brasseries traditionnelles de saké, qui à l'époque ne produisaient du saké qu'en hiver rendant difficile l'emploi permanent de personnes tout au long de l'année, j'ai créé une microbrasserie de bières afin de fournir aussi des emplois en été. Mais, l'entreprise a complètement échoué. Constatant l'échec de ce projet et sentant qu'il ne sera probablement pas payé, le toji est parti dans une autre entreprise avec toute son équipe.
J'ai saisi cette occasion pour commencer à brasser du saké moi-même avec quatre autres employés. J'ai ainsi pu communiquer ma volonté de produire un délicieux Junmai Daiginjo à toute l'entreprise. Cela m'a également permis de faire d'innombrables essais et erreurs pour arriver à fabriquer un Junmai Daiginjo délicieux, ce qui n’aurait pas été possible sous l'autorité du Toji vieillissant et obstiné. C'est pour cette raison ironique que notre brasserie, qui était technologiquement inférieur, a pu produire en masse et établir la technologie d'un Junmai Daiginjo supérieur avant nos concurrents.
Asahi Shuzo était devenue une brasserie de saké dans laquelle travaillait exclusivement ses employés, ayant supprimé le poste de toji, qui ne venait auparavant que l'hiver et travaillait dans l’agriculture le reste de l’année. Elle a abandonné la méthode traditionnelle de brassage du saké « à froid » et a adopté une méthode de brassage possible tout au long de l'année en climatisant la brasserie.
En outre, la brasserie a mis au point une méthode qui permet un découpage plus précis en petites opérations successives que l’on peut contrôler, plutôt que les processus plus globaux et la mécanisation habituellement favorisés par les grandes brasseries. Par conséquent, les essais et les erreurs sont constants et les techniques peuvent être améliorées très rapidement.
On peut dire que le même type de difficultés nous a sauvé pour le riz. Il n'existait pas de bon riz pour le saké à Yamaguchi, notre préfecture d'origine. Tout d’abord, nous voulions faire produire du bon riz localement. Mais la branche de la coopérative agricole de Yamaguchi, qui est très lié à l’administration, était réticente à produire une nouvelle variété de riz. En fait, ils se moquaient même de nous quand nous disions que nous voulions du bon riz pour le saké. Un jour, j'ai fini par perdre patience et j'ai décidé de cesser mes relations avec la coopérative agricole.
Par la suite, nous n'avons plus fait appel à la coopérative agricole la plus puissante, mais nous avons travaillé en partenariat avec des agriculteurs que nous avons démarché nous-mêmes. Mon objectif était d’obtenir le meilleur riz possible et me suis concentré sur le plus cher, le Yamada Nishiki. Aujourd'hui, 9 000 tonnes de Yamada Nishiki sont utilisées chaque année. Cela représente 34 % des 26 000 tonnes de Yamada Nishiki produites dans tout le Japon. Cette quantité importante n'a été possible que parce que nous avons développé nos propres circuits d'achat.
En outre, après avoir constaté le succès de Asahi Shuzo, le département de l'agriculture de la préfecture de Yamaguchi, qui n'accordait pas beaucoup d'attention au riz à saké, a commencé à s'y intéresser et à travailler avec la coopérative agricole pour produire une nouvelle variété de riz à saké. Cependant, Asahi Shuzo a été souvent critiqué pour ne pas utiliser cette nouvelle variété, qui n'est pas très bonne à notre avis, à la place du riz Yamada Nishiki. Du point de vue de la logique économique, ce n'est peut-être pas une bonne idée de ne pas écouter les autorités locales, qui ont un pouvoir énorme dans la région. Cependant, parce je pense avant tout à nos clients, je n’ai pu me résoudre à produire du Dassai avec un riz qui ne serait pas à la hauteur de nos ambitions.
Aujourd'hui, les producteurs de Yamada Nishiki d'Asahi Shuzo ne se trouvent pas que dans la préfecture de Yamaguchi, mais s'étendent de la préfecture de Kumamoto, au sud, aux préfectures de Tochigi et de Niigata, au nord. La culture s’est installée dans des régions qui étaient auparavant considérées comme impropres à la culture d'un point de vue climatique. Ironiquement, cela est devenu possible est en grande partie en raison du réchauffement climatique qui étend vers le nord les zones propices à la culture du riz.
Quoi qu'il en soit, lorsque nous racontons notre histoire sur le riz, nous disons : « Il n'y avait pas de bon riz dans notre préfecture d'origine, Yamaguchi. C'est pourquoi nous avons tracé une voie pour obtenir du bon riz de tout le pays ».
Grâce à vous, nous avons reçu de grands éloges aux États-Unis. L'un de nos moments les plus mémorables a été la visite du défunt Premier ministre Abe aux États-Unis en 2015, lorsque Dassai a été servi au dîner officiel à la Maison Blanche. En fait, le gouvernement américain nous a demandé de garder le secret jusqu’au dernier moment. C'est pourquoi le Premier ministre Abe ne l'a découvert que lorsque le président Obama a mentionné dans allocution avant de trinquer que le saké était Dassai de la préfecture de Yamaguchi. Les images des journaux télévisés de l'époque montrent le premier ministre Abe regardant en arrière, surpris. Le Premier ministre Abe est décédé l'année dernière de manière tragique, mais la prévenance du gouvernement américain à l'époque restera dans nos cœurs. Et l'honneur d'avoir Dassai comme premier saké à être servi lors d'un dîner officiel restera toujours dans notre histoire.
Lorsque je parle de notre histoire, j'ai le sentiment qu'en fin de compte, ce sont les difficultés ont fait de Dassai ce qu’il est aujourd'hui.
Dassai produit désormais un Junmai Daiginjo à Hyde Park, sur la côte est des États-Unis. Il s'appelle Dassai Blue. Un dicton japonais dit : “Le bleu vient de l'indigo et est plus bleu que l'indigo”. Au Japon, la teinture bleue provient de la teinture indigo, qui est plus bleue que l’indigo. En d'autres termes, cela signifie que l'enfant dépasse les parents. Je l'ai également appelé Dassai Blue dans l'espoir qu'il surpasse le Dassai produit en termes de goût.
Ici aux États-Unis, je vous remercie de soutenir le nouveau défi de Dassai.