Hiroshi Sakurai – mars 2023
Après de nombreux reports, notre brasserie dans l’état de New York est en voie d’achèvement et je m’apprête à partir le 20 mars. Quand vous lirez ce courrier, je serai peut-être déjà dans l’avion ou bien installé aux États-Unis.
Pour tout vous dire, j’ai un peu honte d’avouer que je ne parle pas du tout anglais, et que je m’inquiète parce que l’on conduit à gauche aux États-Unis, à l’inverse du Japon. Je me suis donc acheté une nouvelle Mustang pour me déplacer aux États-Unis ! Y a-t-il un lien quelconque ? Oui, tout est lié.
La Ford Mustang était la voiture de mes rêves lorsque je n’étais qu’un collégien boutonneux il y a plus de 50 ans. J’en rêvais tout le temps en regardant les photos des magazines. Il faut dire qu’elle était souvent présentée avec des jolies mannequins blondes en blouson et pantalon… (Oui, je sais que je ne devrais pas dire cela. Je m’en excuse !). J’ai acheté cette voiture pour me motiver, mais cela revient quand même un peu cher. J'ai toujours eu la mauvaise habitude de me récompenser moi-même, alors soyez indulgents avec moi (je suis plus dur avec les autres, mes employés peuvent en témoigner).
Pourquoi se donner tant de mal pour aller aux États-Unis ? Après tout, les trois personnes expatriées en poste aux États-Unis sont très expérimentées. Ce sont l’ancien responsable de la production de la brasserie Dassai au Japon, son successeur et un autre employé ayant plus de 15 ans d'expérience. Je peux dire que techniquement, ils ont toute ma confiance. Quel est l'intérêt pour moi d'y aller maintenant ? C'est une question légitime. Habituellement, le président d’une entreprise japonaise ne serait pas présent sur place à ce stade. Alors pourquoi y allez quand même ? Je ne leur ferais pas vraiment confiance ?
Si, si, je leur fais confiance. Cependant, plus une équipe est compétente, plus sa réputation est établie, et moins elle prend le risque d'échouer. Nous avons fait tous les préparatifs possibles pour nous assurer que nous n'échouerons pas. Mais comme vous le savez tous, une telle chose est impossible dans ce monde. Même les centrales nucléaires, qui sont censées être infaillibles, ont connu des accidents.
Notre personnel le sait instinctivement. Alors que vont-ils vouloir faire ? Ils vont éviter l’échec en ne se confrontant pas à des défis trop ambitieux. Si l'on ne prend pas de risques, la probabilité d'échec baisse fortement. Ils vont alors chercher des raisons pour lesquelles ils ne peuvent pas relever de tels défis. Le piège, c'est que plus ils sont compétents, plus les raisons qu'ils trouvent sont indiscutables et rationnelles.
Dans ce cas, cela ne vaut pas la peine d’investir huit milliards de yen dans une brasserie aux États-Unis. C'est pourquoi j’y vais. J’y vais pour me tromper, pour trouver les moyens de les surmonter nos échecs et pour atteindre un niveau de réussite encore plus élevé. Mon projet actuel est de rester aux États-Unis pendant un an. Mesdames et Messieurs, j'ai l'intention de rendre compte de ma vie aux États-Unis en tant que « kuramoto » qui n'a pas conscience d’avoir déjà 72 ans. À suivre.